Accueil > Conférences > Echos de nos conférences > 2014-11-27 Saint Louis et les frères mineurs, par André Vauchez, membre de (...)

2014-11-27 Saint Louis et les frères mineurs, par André Vauchez, membre de l’Institut

En cette année du 8° centenaire de la naissance et du baptême du "Roi très chrétien" (1214-1270), le Professeur André Vauchez, devant une salle comble, nous a dévoilé ces liens étroits qui unirent les frères mineurs et le saint Roi.

Dans les Actes du bienheureux François (version latine de ce qui deviendra les Fioretti), est fait mention d’une rencontre à Pérouse de St Louis, Roi de France, avec frère Gilles, compagnon de St François. Un texte étrange, car St Louis n’a jamais mis les pieds en Italie ! C’est donc une pure légende mais qui est fort significative d’une profonde réalité : à savoir l’empathie réelle entre St Louis et les frères mineurs.
St Louis était très attaché aux ordres mendiants, les mineurs et les prêcheurs.
Louis est né du vivant de St François. Il avait 14 ans quand St François a été canonisé par le Pape. Il a connu dès sa jeunesse les frères mineurs.
Sa mère, Blanche de Castille, était plutôt tournée vers les Cisterciens : elle a poussé son fils à construire l’abbaye de Royaumont.
Mais très tôt on trouve des confesseurs franciscains et dominicains auprès du Roi. Ces frères feront aussi l’office de distributeurs d’aumônes pour le Roi. Ils récitaient les heures liturgiques avec le Roi. Après la construction de la Ste Chapelle, le service de la Chapelle sera assuré trois fois par an par les Ordres mendiants.
Pourquoi St Louis a-t-il été séduit par les Ordres mendiants ? Il a trouvé en eux des hommes évangéliques. Il appréciait la qualité de leurs sermons. (Au 13°siècle les sermons en langue vulgaire était une nouveauté !). L’un des biographes du Roi note qu’il écoutait volontiers les prédications les dimanches et les jours de fête. Or qui prêchait surtout à cette époque ? C’étaient surtout les frères. St Louis était très attaché à l’annonce de la Parole de Dieu. Il était très attaché également à la mettre en pratique. St Louis a fait venir à sa cour des prédicateurs, parmi les plus grands théologiens comme Bonaventure, Thomas d’Aquin... Il les fait venir à sa table pour converser avec eux. Il connaissait, aussi, Alexandre de Halès et Jean de la Rochelle, qui avaient été auparavant maîtres séculiers de l’Université et qui étaient devenus frères franciscains. Bonaventure a prêché 19 sermons en présence du Roi. St Louis n’était pas un intellectuel : mais il cherchait pénétrer l’intelligence du contenu de la foi en vue d’exercer la charité.

La spiritualité de l’action

Pour Louis IX se faire croisé ne relevait pas d’une manifestation d’impérialisme politique. Pour lui, c’était avant tout un acte religieux. Faire voeu de croisade revêtait un aspect pénitentiel. C’était adopter un style de vie pénitentiel.
Vers 1230/1240, les frères considéraient que le dialogue avec l’islam était impossible. Il fallait d’abord briser la puissance militaire des Musulmans pour tenter de les ouvrir à la Foi. Saint Louis prit l’initiative de la croisade par deux fois : en Egypte, d’abord, puis en Tunisie. Il se sentait investi d’une mission de propagation de la Foi et dans cette perspective, il voulait être, d’abord, un artisan de paix dans son Royaume et en Occident. Il fallait que la Chrétienté soit pacifiée pour que la Croisade soit une réussite. Louis IX va faire la paix avec l’Aragon, avec l’Angleterre, en Allemagne. Il apaise des conflits en Flandres. Ce furent là autant de lieux de rencontres avec les franciscains. Un franciscain italien, né à Parme, venu à Sens en 1248 participer au Chapitre général des frères mineurs donne ce témoignage : le Roi était mince et svelte. Il avait un aspect angélique et gracieux. Il demanda pieusement les prières des frères pour le succès de sa Croisade.
Gilbert de Tournay, un théologien franciscain important de l’époque, lui offrit un ouvrage donnant des conseils sur la manière de gouverner. Le Roi fit venir au Parlement de Paris, Eudes Rigaux, frère franciscain, nommé Archevêque de Rouen. Eudes Rigaux fut le négociateur de la paix entre Louis IX et le Roi d’Angleterre. Il célébra le mariage de la fille de Louis IX.
Avant de partir en croisade, Louis IX ordonna des enquêtes dans les Provinces pour lui faire connaître les griefs portés contre son administration et y faire face. Sur les 31 enquêteurs, on compte 18 frères mendiants.

Réflexion sur le pouvoir

St Louis était très attaché à l’autonomie du temporel par rapport à l’Eglise. En tant que chef d’état, il considère qu’il a une fonction et des droits à faire valoir, même face au Pape. Il est soutenu par les frères mendiants.
Il a été bienfaiteur de nombreux couvents franciscains (Paris, Rouen, Jaffa en Terre Sainte, Compiègne...). Il a apporté son aide à la construction d’une bonne quinzaine de couvents de frères mendiants.
Après l’échec de la première croisade, qu’il a attribué à son péché, il a accentué le caractère austère de sa vie et son désir de pénitence. Il n’est pas exclu qu’il ait été tenté d’abdiquer (vers les années 1260) pour devenir religieux.

St Louis : un vrai laïc ou un pseudo-religieux ?

St Louis a été critiqué par une partie de l’opinion à Paris qui lui reprochait d’être "le roi des clercs" et "le roi des frères mendiants". En effet, il a pris partie pour les mendiants dans la fameuse querelle entre les séculiers et les réguliers à l’Université (dans les années 1254/1256). Guillaume de St Amour, notamment, le fer de lance des "séculiers" contre les frères mendiants, en a voulu au Roi. Pour lui, Louis IX est dupe de l’hypocrisie des Ordres mendiants.
Guillaume de St Amour lance une véritable diatribe contre le Roi en 1256, ce qui lui valu l’exil.
St Louis a cherché toute sa vie à atteindre un équilibre entre sa dévotion et les exigences du pouvoir. Les enseignements laissés par St Louis à son fils Philippe sont significatifs à ce sujet. Il lui recommandait, par exemple, de s’habiller dignement pour faire honneur à sa fonction royale.
C’est toute la question des rapports entre l’individu et la fonction sociale qu’il a à assumer, de la concordance entre les capacités et les aspirations de la personne et sa fonction.

En conclusion, on peut affirmer que Saint Louis n’a pas été tertiaire franciscain : car le Tiers-Ordre n’existait pas encore. (St Louis n’a été représenté comme tertiaire qu’à partir du 15° siècle, dans le sillage de l’Observance née en Italie). Mais ce fut un Roi qui aimait les frères mineurs et qui a cherché à vivre les exigences franciscaines durant toute sa vie. Certains ont pensé qu’il allait trop loin. Mais cette critique n’est pas fondée ; car St Louis a toujours cherché à maintenir un équilibre, une juste mesure, dans sa vie entre sa foi dans le sillage de St François et sa fonction royale.